L’équilibriste


Chaque jour, chaque minute, chaque seconde, nous passons notre temps à nous adapter à notre environnement. Avec lui, nous créons et prenons souvent l’avantage, sinon perdons et passons directement aux concessions. Notre cerveau agit instinctivement la plupart du temps, mais toujours avec un but précis : trouver cet équilibre intérieur qui nous maintient vivants et nous permet d’explorer plus loin. Nos vies sont ainsi faites, de moments où tout peut basculer. Et qu’en est-il si, dans cette balance existentielle, se trouve quelque chose d’aussi extrême que le surf de grosses vagues ? Peut-on réellement compenser un penchant pour les déferlantes de vingt mètres sans tomber dans un autre extrême ? Cédric Giscos, surfeur de grosses vagues tient une réponse intéressante : le travail de la terre. Nous sommes allés le rencontrer entre la forêt des Landes et l’océan Atlantique pour en discuter avec lui.

 

« Il y a une chose à savoir avec les extrêmes, c’est qu’il ne faut pas construire toute sa vie autour de ça. »

Peu habituée à sortir des sentiers battus et malmenée par les nids de poule, notre voiture suit la route cabossée sans réellement savoir si cette voie mène bien aux Vergers de Saubalouque, où Cédric nous attend. Il est facile de se perdre dans la vaste étendue de pins des Landes, au cœur de laquelle se trouvent les 4,2 hectares de terre achetés et rénovés il y a deux ans par le prof de surfeur de 35 ans. Noisetier, aubépine, châtaignier, chêne, arbousiers plantés selon les règles de l’agroforesterie et de la permaculture ont aujourd’hui remplacé la monoculture de résineux, accueillant au passage une diversité d’animaux et d’essences d’arbres anciens, dont certaines sont en voie de disparition. « J’étais constamment attiré par le surf de gros, ce sport me permettait de me tirer vers le haut, mais il y a une chose à savoir avec les extrêmes, c’est qu’il ne faut pas construire toute sa vie autour de ça. Alors j’ai commencé à chercher comment équilibrer ma vie et le travail de la terre est rapidement entré en jeu. ». Redonner vie à ce terrain ravagé par les tempêtes ne fût pas une partie de plaisir, mais on se rend vite compte que l’ambition de Cédric n’a d’égal que son engagement dans les grosses vagues.

 

 

Quand il n’est pas en train de découper des pins à la tronçonneuse, il ne peut être qu’à l’eau, à attendre la bombe de la session, à pêcher ou à donner des cours de surf. Il reprend : « J’ai toujours été hyper stressé, avec un mental qui tourne à 2000 à l’heure et des traumas d’enfance qui viennent me hanter. Notre cerveau est une machine qui nous fait gamberger. Le surf de gros procure une énorme dose d’adrénaline qui, elle seule est capable de mettre mon cerveau en pause.  Pendant un instant, tout s’arrête. C’est comme une drogue qui vient m’apaiser.» Ainsi, des années durant, le futur surfeur-agriculteur enchaîne les entrainements et les surf trips aux quatre coins de l’Europe. « Quand on préparait Nazaré avec mon équipe, on n’avait que nos objectifs en tête, on ne faisait que se préparer, s’entrainer. Pareil pour nos séjours en Espagne ou en Galice, on ne pensait qu’à ça. » Cette fascination pour l’océan, Cédric ne la tient pas de nulle part. Ayant grandi juste à côté de la plage, ses parents l’ont rapidement rapproché des vagues, mais aussi de la pêche et de ces disciplines qui façonnent avec les années les véritables watermen. « J’allais tout le temps pêcher au lac d’Hossegor, les mercredis, les weekends et je me suis en plus rapidement mis au sauvetage côtier. J’étais d’ailleurs dans les premiers à participer aux championnats de France de cette discipline. Mes journées étaient simples, quand je ne pêchais pas, je faisais du sauvetage. Puis est arrivé le surf. » Avant de (re)découvrir ses terres natales et de glisser sur de longues vagues pentues, c’est encore sous l’eau que Cédric s’est toujours senti le plus vivant « Quand tu passes la tête sous l’eau, il y a un côté méditatif de dingue. Il n’y a plus un bruit. Seulement celui des bulles. Il y a pourtant énormément de vie et j’adore observer tout ce qu’il s’y passe. Sur terre, on oublie un peu ce rapport à la vie. Sous l’eau, on n'a que ça à faire. J’aime aussi la part d’inconnu qui vient avec chaque plongée en apnée, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. C’est presque flippant parfois ! Derrière un rocher, il peut y avoir une murène ou une énorme araignée de mer. Je suis allé à Tahiti, la chasse sous-marine est incroyable, mais j’ai tout aussi hâte de découvrir les fonds de Bretagne ou de Galice.» C’est d’ailleurs lors d’une sortie houleuse à la pointe ouest de l’Espagne, incluant quelques engueulades et menaces de mort avec des locaux, que Cédric a le déclic pour relancer les vergers de Saubalouque. Le début d’un nouveau chapitre de sa vie s’est ouvert ce jour-là, et pas des moindres.

 

« Si chacun sortait des cases pour mettre en place un petit univers comme celui-ci, tout irait beaucoup mieux ! »

Il raccroche temporairement le surf et ses galères et nous dévoile son plan, toujours le même depuis deux ans : « J’aimerais être le plus autonome possible, le moins redevable possible à la société. Ne laisser aucune trace de mon passage sur terre et même avoir une empreinte positive sur mon environnement. Au quotidien par exemple, quand je donne un cours de surf, on en profite pour faire un beach cleaning, sinon je plante des arbres. C’est cliché, mais je pense que c’est important de le faire. Si chacun sortait des cases pour mettre en place un petit univers comme celui-ci, tout irait beaucoup mieux ! » Sortir des cases, faire passer des messages, c’est précisément ce dont il est question ici pour ce prof le surf qui, sur terre comme en mer, mise toujours sur le collectif et sur la transmission des connaissances. Et les équipages sont parfaitement différents.  « Tu ne peux pas la pratiquer le surf de gros seul. Que ce soit pour te faire tracter par un jet ski, mais aussi pour tout ce qui est préparation mentale et physique, jusqu’aux spotteurs qui vérifient les vagues et à ceux qui vérifient le matériel. C’est un vrai sport d’équipe et c’est ce qui fait aussi la beauté de nos expéditions. Dans mon projet agricole, c’est la même chose. Les anciens sont des piliers des vergers ». Il nous explique aussi que les papis du coin ne sont pas les seuls membres de sa nouvelle équipe. Des woofers de passage sont également venus lui filer de précieux coups de main en échange de cours de surf, ou encore des jeunes qui avaient du temps libre et voulaient participer à un projet écolo. « Le travail de la terre parle aux jeunes générations. Même en étant en dehors des cases, ce que j’entreprends est réellement fédérateur », nous explique-t-il. Et une question nous vient en tête. Si le surf de gros n’est évidemment pas pour le premier woofer de passage, aider Cédric à façonner ses vergers est-il vraiment sans risque ? Rien n’est moins sûr, comme il l’évoque dans une anecdote rouge sang dans laquelle il se met accidentellement un coup de tronçonneuse dans la jambe – épisode qui lui vaudra deux mois d’arrêt et quelques nouvelles réprimandes familiales. « Mes parents ont toujours eu peur concernant le surf de gros. Ils étaient contents que je passe du temps sur mon terrain, au calme, mais avec cet accident, ils ont compris que ça n’allait pas de tout repos. » Qu’à cela ne tienne, Cédric revient plus motivé que jamais, reprend le surf et continue son numéro d’équilibriste de l’extrême, distribuant gratuitement quelques fruits et légumes d’un côté, domptant les immenses déferlantes de l’autre. Cette connexion à l’océan, il ne la perdra sans doute jamais et la suite de ses projets parle d’elle-même : « Je voudrais apprendre à naviguer. Un ami vient d’acheter un voilier, on prévoit d’aller vers les Canaries et les Açores. J’aimerais aussi beaucoup aller en Écosse, un pays magnifique avec des plages méconnues. Je m’entraine et je commence à me poser pas mal de question sur le bateau et la voile. Se retrouver perdu milieu de l’océan, je n’ai pas vraiment l’habitude » conclut-il avec la fausse modestie d’un véritable pirate.

Retrouvez Cédric sur Instagram : @cedricgiscos et @les_vergers_de_saubalouque

03 novembre, 2023 — Mathias Lys Leroy

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